Voyage au pays des steppes

Le Naadam

Arrivée d’une course de chevaux

Le matin, nous retournons au camp pour assister à l’arrivée d’une course. Il s’agit cette fois des chevaux âgés de cinq ans. Pour chaque course, ce sont les cinq premiers jockeys qui sont récompensés. Le cheval vainqueur est « tumnii ekh », chef des dix milles (référence à la manière dont Gengis Khan avait organisé son armée : les soldats étaient divisés en groupes de dix, cent, mille et dix milles ; dix milles soldats formaient un « tümen »). Sa croupe est aspergée d’aïrak, et un chant le glorifie. Le cheval arrivé en dernier est « bayan khodood » (estomac plein !) ; un chant disculpe le cheval, qui a été mal entraîné par l’éleveur et sera sûrement vainqueur l’année prochaine ; il disculpe aussi le jockey qui était sans doute trop jeune, et blâme la bride et la cravache d’avoir été trop courtes.

Nous retraversons le campement envahi par les senteurs d’armoise et le chant des criquets. Les Mongols sont venus en nombre, car cette course est l’une des plus suivies. Des cavaliers, seuls ou menant un groupe de chevaux, fendent la foule dans un nuage de poussière. Nous rejoignons les spectateurs massés contre les barrières de protection. Derrière, les spectateurs à cheval, serrés les uns contre les autres, forment littéralement une deuxième barrière. L’attente commence. Un petit camion citerne passe à plusieurs reprises et arrose la piste, sans quoi la poussière soulevée par les chevaux ne manquerait pas de cacher l’arrivée. Un haut-parleur commente la course qui est en train d’avoir lieu. Un peu avant l’arrivée des chevaux, le Mongol qui se trouve devant moi est dérangé par son téléphone portable : jusqu’au bout du monde, on n’échappe pas à ces engins diaboliques !

Quand surviennent les premier chevaux, les spectateurs les acclament à grands cris. Les montures semblent vraiment exténuées par leur longue course, et les gamins qui les mènent cravachent leur croupe luisante de sueur pour se disputer les premières places. Lorsque la plupart des cavaliers sont passés, la foule commence à se disloquer. Les piétons sont pris dans la cavalcade des spectateurs à cheval – tous les ans, il y a quelques accidents, et il faut être très attentif. Des groupes se forment autour des chevaux qui ont participé à la course, touchent la sueur de ces derniers pour se porter ensuite la main au front : un geste censé porter bonheur.

Nouvelle balade dans le camp, en compagnie d’Eruna. Nous décidons de procéder enfin à notre baptême de l’aïrak et en achetons un bol. Le lait de jument fermenté est très liquide, pas aussi épais qu’un lait de vache. Il est particulièrement aigre, avec un goût de yaourt. La boisson s’avère très bonne et désaltérante. Nous en profitons pour goûter également à un rurshur, de la viande de mouton hachée et frite dans une sorte de pâte à beignet.

« Ce soir-là, le garçon qui nous guidait nous donna à boire du comos [aïrak] : j’en fus tout en sueur, sous le coup de l’horreur et de la nouveauté, car je n’en avais jamais bu. Pourtant cette boisson me parut avoir beaucoup de saveur, ce qui est tout à fait vrai. » (Guillaume de Rubrouck)

Lutte mongole : la finale

Après le déjeuner, Eruna nous conduit à la poste pour les achats de cartes postales et de timbres. Téléphoner s’avère un véritable parcours du combattant (il faut remplir une fiche détaillée, passer par deux guichets différents situés aux extrémités opposés du bureau de poste, attendre que la standardiste établisse la communication...). Nous allons ensuite jeter un coup d’œil à l’ancien palais du gouvernement, qui n’est pas très loin : le bâtiment est typiquement stalinien, gris et triste, avec des colonnes sans ornement, surplombant une grande place vide dépourvue du moindre arbre.

En fin d’après midi, retour au stade, occupé essentiellement par des Mongols, cette fois. Le déploiement de policiers et militaires est beaucoup plus important que la veille. Les courses et le tir à l’arc sont terminés. Les épreuves de lutte en sont aux huitièmes de finale. Cette fois, les combats durent beaucoup plus longtemps et sont plus intéressants à regarder, car il ne reste en lice que les meilleurs sportifs.

Les seize lutteurs qui parviennent au sixième tour reçoivent le titre de Faucon, au septième celui d’Eléphant, puis de Lion. Le vainqueur est proclamé Avraga, c’est à dire Titan, ou Champion. Bat-Erdene est Titan depuis douze années, dont onze consécutives. Le choix des combattants se fait par tirage au sort, sauf pour le Titan qui a le droit de choisir lui-même son adversaire. Lors des premiers matchs, il prend toujours un adversaire facile. Mais cette fois, Bat-Erdene a choisit d’affronter l’adversaire le plus redoutable, ce qui ne manque pas de mettre les spectateurs en émoi. Les combats ont tous lieu en même temps. Le Titan et son adversaire se combattent mollement, sans guère de conviction. En fait, ils attendent que les autres combats soient terminés et que tous les regards soient tournés vers eux.

A l’autre bout du stade, un lutteur manque de déséquilibrer son adversaire, mais ce dernier parvient à se rétablir ; un autre se retrouve à quatre pattes et parvient à se relever. La réaction des spectateurs est tout à fait semblable à ce qui se passe pendant un match de football lorsqu’un but a failli être marqué. L’ambiance qui règne dans le stade est révélatrice de la popularité de ce sport. Plus loin, deux lutteurs sont tombés en même temps. Les arbitres tergiversent pour déterminer qui est tombé en premier ; ils décident finalement de faire reprendre le combat.

Arrivé en demi-finale, surprise : Bat-Erdene abandonne sans combattre. La foule s’interroge sur les raisons de cet abandon. Geste de panache d’un champion qui n’a plus rien à prouver ? Abandon car il ne veut pas courir le risque d’être blessé à quelques mois des jeux olympiques où il participera aux épreuves de judo ? Bat-Erdene expliquera plus tard à la presse qu’il était devenu Titan, douze ans plus tôt, parce que le tenant du titre de l’époque avait lui-même passé la main... La Mongolie connaît désormais un nouveau Titan.

Nous n’avons pas le temps d’assister à la finale car nous avons rendez-vous avec le reste du groupe. La ville semble désertée : la plupart des habitants assistent à la finale, à la radio ou à la télévision. Nous prenons le bus : les passagers suivent attentivement le match à la radio.

Quant à nous, nous cherchons pendant un bon moment un restaurant qui soit ouvert en ce jour férié, pour nous rabattre finalement sur un japonais.

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