Voyage au pays des steppes

Vers le Bayan Gobi

Vers le Bayan Gobi

Nous passons la nuit sous la pluie et les rafales de vent qui mettent les tentes à rude épreuve : inconvénient de ces grandes étendues où il n’y a rien pour arrêter le vent. Au matin, le pliage des tentes s’avère quelque peu délicat... On imagine les conditions de vie en hiver lorsqu’en plus il fait –40°C. Petit déjeuner dans la tente du mess, où nous essayons tant bien que mal de nous protéger de la poussière.

La prochaine destination est le Bayan Gobi, c’est à dire le « Gobi riche », à la frontière du désert de Gobi. Nous empruntons une des rares routes goudronnées du pays. Par endroit, des assemblages de cabanes et de yourtes jouant le rôle de relais routiers et proposent boissons et restauration. Les stations services sont rares.

Par rapport au Terelj, il y a beaucoup plus de chevaux, ainsi que quelques chameaux. Pour les animaux sauvages, beaucoup de grues et d’aigles. On croise également quelques champs de blé, une rareté dans ce pays d’éleveurs : la quasi totalité des fruits, des légumes, des céréales, sont importées ; fruits et légumes sont un produit de luxe, accessibles aux classes les plus aisées (et aux touristes).

Déjeuner au bord de la rivière Tul. Au loin, des éleveurs mènent leurs troupeaux de chevaux, de vaches et de chèvres.

Dans le bus, pour passer le temps, Darkhan nous demande d’interpréter « la chanson où l’on trait les vaches »... Après enquête, nous comprenons qu’il s’agit de Frère Jacques : elle confondait le geste du sonneur de cloche avec la traite d’une vache. Nous lui enseignons quelques chansons du répertoire français : Au clair de la lune, Aux Champs Elysées et, ô décadence de la civilisation occidentale, Chevaliers de la table ronde.

Echange d’histoires drôles en anglais avec Bagui. Tous les pays du monde ont leurs Belges. Les Belges des Russes et des Mongols sont les Tchouq, un peuple de Sibérie. Les histoires Tchouq sont aussi subtiles que nos histoires belges, ce qui n’est pas peu dire (Un Tchouq épouse une occidentale, mais la renvoie au bout d’un mois parce qu’elle est sale : elle se lave tout le temps. Un Tchouq achète un réfrigérateur pour se chauffer les pieds pendant l’hiver sibérien).

En fin d’après-midi, le bus quitte la route pour des pistes de terre, à peine visibles. Si dans le Terelj le paysage était assez vallonnée, la steppe s’étend cette fois à perte de vue (la steppe couvre 80% de la Mongolie). Les seuls reliefs sont les carcasses d’animaux croisées de temps à autre. Le jeu de cache-cache doit être inconnu dans ce pays (et lorsque l’on a besoin de « s’isoler », il faut marcher un certain temps avant d’être hors de vue...). Tounga fait une pause pour laisser reposer le moteur. A l’approche du Gobi, le paysage se fait plus aride, quelques dunes de sable font leur apparition. Paradoxalement, on trouve bien plus d’arbustes que dans la steppe !

Le campement sera installé près d’un point d’eau marécageux, où l’on peut observer quelques grèves, aigrettes et oies sauvages. Trois cavaliers, deux adultes et un enfant, viennent abreuver leurs chevaux puis passent nous voir. Nous sommes assez loin de la capitale : c’est la première fois que l’on voit des Mongols porter le del (mis à part le cas particulier du Naadam). Deux chiens de l’aïl voisin viennent s’installer dans notre camp, et le surveilleront comme s’il s’agit de celui de leurs maître, aboyant à chaque cavalier qui passe à proximité.

Visite de voisinage

Après une petite séance de farniente, nous sommes invités dans l’aïl voisin. Celui-ci est constitué de trois yourtes. C’est l’occasion d’assister à la traite des chèvres : deux dizaines de bêtes sont attachées des deux côtés d’une corde plantée entre deux piquets, et trois femmes s’occupent de les traire.

Notre hôte est très fier de l’aîné (onze ans) de ses cinq petits-fils : dans une course de chevaux d’un naadam (pas celui d’Ulaan Bator), il a terminé cinquième sur cent cinquante. Le gamin pose fièrement devant les photographes. L’éleveur est également très fier de nous recevoir dans sa nouvelle yourte, qu’il a montée au début du mois. Et effectivement, elle s’avère particulièrement décorée ; les perches du toit sont peintes de motifs géométriques colorés, ainsi que les meubles ; de nombreux tapis et couvertures recouvrent le sol et les murs.

Il s’excuse de ne pouvoir nous servir l’aïrak : durant l’hiver, il a perdu la moitié de ses chevaux (sur une quarantaine), ce qui est considérable. Il nous sert du tsa et des fromages de chèvres séchés : ils sont, littéralement, durs comme des cailloux, et il faut les laisser fondre dans la bouche plutôt que d’essayer de les croquer.

« Du lait de vache, ils extraient d’abord le beurre, qu’ils font bouillir jusqu’à une cuisson complète : ils le mettent ensuite dans des outres de mouton qu’ils réservent à cet usage. Ils ne salent pas leur beurre et cependant, à cause de cette longue cuisson, il ne se corrompt pas. Ils le gardent pour l’hiver. Ce qui reste du lait après la fabrication du beurre, ils le laissent aigrir autant que possible et le font bouillir. En bouillant il caille, et ce caillé, ils le sèchent au soleil : il devient aussi dur qu’une scorie de fer et ils l’enferment dans des sacs pour l’hiver. En hiver, quand ils n’ont plus de lait, ils mettent ce caillé dur et aigre qu’ils appellent « grut » dans une outre, ils versent dessus de l’eau chaude jusqu’à complète dissolution : l’eau devient toute acide, et ils la boivent à la place de lait. Ils se gardent bien de boire de l’eau pure. » (Guillaume de Rubrouck)

Ensuite, il nous sert trois tournées de vodka, puis de l’arkhi, l’alcool distillé à partir du lait fermenté. Trois tournées également, comme le veut la coutume, mais heureusement cet alcool est beaucoup moins fort (environ 20°). En servant les boissons, il prend bien garde de ne pas passer entre les piquets. Il est manifestement très heureux de nous recevoir puisque, après cela, il fait circuler la tabatière (après l’alcool, la drogue). Une tabatière se présente sous la forme d’un petit flacon. On peut soit en soulever le bouchon et renifler l’ouverture, soit se passer sur l’avant bras le pinceau qui prolonge le bouchon (comme pour un flacon de verni à ongle, mais plus dur) et renifler. Comme pour la boisson, on ne refuse pas la tabatière, mais il est toujours possible de faire semblant de priser...

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