Voyage au pays des steppes

Randonnée à cheval. Karakorum

Randonnée à cheval

Pour cette journée cheval, nous sommes accompagnés par Shinji, l’un des fils de la famille d’éleveurs, par un de ses jeunes frères et par Tounga Junior. Nos chevaux sont équipés de selles russes, proches des selles européennes, afin d’épargner à nos fondements les outrages des dures selles mongoles... Elles n’en sont pas moins assez inconfortables, et les passages au trot achèveront mes genoux et mon postérieur. Je baptise mon destrier noir « Oui-Oui » parce qu’il ne cesse de hocher la tête de haut en bas ; bien ma veine de tomber en plus sur un cheval psychopathe...

Le cheval et les Mongols

Le cheval pourrait sans peine être l’emblème de la Mongolie (d’ailleurs, c’est une tête de cheval stylisée qui forme le logo de la MIAT, la compagnie aérienne mongole). Le cheval occupe une place importante aussi bien dans la vie quotidienne que dans l’histoire et dans la culture du pays. Il sert de monture, et la jument fournit l’aïrak qui est un élément essentiel de l’alimentation. Le cheval était une des clés de voûte de la puissante des armées mongoles de Gengis Khan et de ses successeurs. Nombre d’expressions, comme « aller voir son cheval » (pour dire qu’on va uriner), font références à cet animal (de même que chez nous de nombreuses expressions parlent du pain), ainsi que des proverbes (« Un cheval lâché peut être rattrapé, un mot lâché ne le peut pas »). Il existe une grande variété de termes pour désigner les nuances de la couleur de la robe, de même que par exemple les Inuits ont un vocabulaire étendu pour désigner la neige. N’oublions pas non plus la vielle-cheval.

« Elle a redressé vos talons,

Elle vous a fait parvenir

A la clavicule d’un homme,

A la croupe d’un hongre ! »

(Histoire secrète des Mongols)

Autrefois, le cheval jouait aussi un rôle dans la vie spirituelle : il pouvait être empalé et ainsi était donné en offrande au Tengri.

« J’ai vu l’un de ces morts, récemment défunt ; autour de lui ils avaient suspendu les peaux de seize chevaux, quatre à chacun des points cardinaux du monde, entre de hautes perches. » (Guillaume de Rubrouck)

Le matin, nous chevauchons pendant deux heures, avec une pause au bord d’une rivière. Nous gagnons au trot le sommet d’une colline pour la pause déjeuner. Une stèle couverte d’inscriptions en ouïgour, en l’honneur d’une princesse mongole, y est érigée. Après le déjeuner, nous repartons vers le camp. Plus nous approchons de l’aïl, et plus les chevaux font preuve d’empressement. Il faut les retenir pour ne pas terminer au galop (je n’aurais pas survécu à cette ultime épreuve !). Je me promets que de retour à Paris, je m’achète un steak de cheval ; c’est un innocent qui paiera pour les autres, mais tant pis (que les amoureux des animaux sachent que je n’ai pas tenu ma promesse !).

Avant notre départ, toute la famille se livre à une séance photos. L’année prochaine, au prochain passage de Cathy, de nouveaux clichés orneront les yourtes... Après un dernier bol d’aïrak, nous partons vers la ville de Karakorum.

Karakorum

Le site de Karakorum commença à prendre son ampleur sous Gengis Khan, puis devint la capitale de l’empire mongol sous le règne de son successeur, Ögedeï. Par la suite, le Khan Qubilaï transféra la capitale en Chine, puis Karakorum fut détruite par les Chinois lorsque l’empire gengiskhanide s’écroula. Aujourd’hui, il ne reste presque plus rien du site impérial : quelques statues de lion, de tortues, des vestiges du palais...

« A Caracorum, Mangou a une vaste cour près des murs de la ville ; elle est clôturée par un mur de briques où il tient ses beuveries deux fois l’an, une fois aux alentours de Pâques, lorsqu’il passe par là, et une deuxième fois en été, à son retour. Cette seconde est la plus importante, parce qu’alors se rassemblent à sa cour tous les nobles, où qu’ils soient, même à deux mois de route. Il leur distribue alors vêtements et présents et manifeste ainsi la grandeur de sa gloire. Il y a là beaucoup d’autres maisons aussi longues que des granges, dans lesquelles sont emmagasinés ses vivres et ses trésors. [...] Le palais est comme une église, avec une nef médiane, et deux collatéraux derrière deux ordres de colonnes, et trois portes au sud. [...] Le Chan siège au chevet, à l’extrémité nord, en un lieu élevé, si bien qu’il peut être vu de tous. [...] Du côté droit, c’est-à-dire à l’occident, sont les hommes, à gauche les femmes. [...] » (Guillaume de Rubrouck)

Sur les billets de 10000 tugruts est représentée une « fontaine à aïrak » en forme d’arbre qui avait été construite au 13ème siècle dans le palais de Karakorum par un artisan européen captif. Fontaine qui n’avait pas échappé à la vigilance de notre ami Guillaume de Rubrouck :

« A l’entrée de ce palais, [...] maître Guillaume le Parisien lui fit un grand arbre en argent, aux racines duquel sont quatre lions d'argent, chacun avec un conduit, et vomissant tous du lait blanc de jument. A l’intérieur de l’arbre, quatre conduits vont jusqu’à la cime, d’où leur extrémité s’ouvre vers le bas. Sur chacun d’eux est un serpent doré dont la queue s’enroule au tronc de l’arbre. [...] Au sommet de l’arbre il a fait un ange qui tient une trompette, et sous l’arbre un caveau où un homme peut se cacher. Un conduit interne s’élève au cœur de l’arbre jusqu’à l’ange. [...] En dehors du palais se trouve un cellier où sont emmagasinées les boissons ; des serviteurs s’y tiennent, prêts à les distribuer quand ils entendent l’ange sonner de la trompette. » (Guillaume de Rubrouck)

La ville actuelle est aussi peu attrayante qu’Ulaan Bator : beaucoup de yourtes et de cabanes en bois entourées de palissades délabrées. Il est vaguement question de refaire un jour de Karakorum la capitale du pays ; étant donné l’état des infrastructures, cette éventualité semble bien lointaine.

« De la ville de Caracorum, vous saurez que, hormis le palais du Chan, elle ne vaut pas le bourg de Saint-Denis et que le monastère de Saint-Denis vaut dix fois plus que ce palais. Il y a là deux quartiers : celui des sarrasins où sont les marchés et où de nombreux marchands affluent à cause de la cour, qui est toujours proche, et à cause de la multitude des ambassadeurs ; l’autre quartier est celui des habitants du Catay [Chine du Nord], qui sont tous des artisans. En dehors de ces quartiers, il y a de grands palais qui sont destinés aux secrétaires de la cour. Il y a douze temples d’idolâtres de diverses nations, deux mosquées où est proclamée la loi de Mahomet, et une église de chrétiens à l’extrémité de la ville. La ville est ceinte d’un mur de terre et a quatre portes. » (Guillaume de Rubrouck)

Le monastère d’Erdene Zuu

Par contre, il y a près de Karakorum le monastère d’Erdene Zuu. Fondé à partir 16ème siècle, d’une surface de 400 par 400 mètres, il s’agit de l’un des plus anciens et plus importants monastères du pays. Les nombreux temples de style chinois (plus un de style tibétain) qu’il abrite sont entourés d’une muraille surmontée de 108 stupas – tourelles surmontées du symbole cosmique feu-lune-soleil que l’on retrouve dans le soyembo. Chaque stupa a été édifié en relation à un événement ou un lama particulier. Certains renferment les restes momifiés de lamas importants. Ce nombre 108 n’est pas fortuit : il s’agit de (1) x (2 x 2) x (3 x 3 x 3).

Nous campons au bord de l’Orkhon, tout près de Karakorum. La nuit est perturbée par une tempête qui casse une des tentes ; les deux « STF » sont répartis dans les tentes intactes.

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